GÉNÈSE DE TCHERNOBYL FOREVER

En 2000, de retour en France après 20 ans passés en Amérique Latine, j’ai entrepris une trilogie photographique sur le thème des « Traces ». Je vivais alors entre Paris et La Havane. J’avais dans mes yeux tous les jours les traces du présent, ou celles du passé. Paris, le présent, le temps de la modernité en marche, le béton et l’asphalte, les codes graphiques de l’ordre en noir et blanc … La Havane, les couleurs du passé, le temps suspendu, celui du retour au sable dans l’anarchie des ruines … C’est en me demandant où je pourrais trouver des traces du futur, que j’ai pensé à Tchernobyl. J’imaginais le temps confisqué, volé, le vide soudain, l’abandon, la terre empoisonnée …

J’ai lu « La supplication – Tchernobyl: Chroniques après l’apocalypse » de Svetlana Alexievitch, et j’ai su compris que ce serait bien là-bas que trouverai des traces du futur. J’ai préparé mon voyage pendant 2 ans, lu et vu beaucoup de ce qui avait été publié sur le sujet; j’ai rencontré des gens qui travaillaient sur le sujet de Tchernobyl, sur son histoire et sur ses conséquences.

En 2004, la première mission d’une ONG qui devait m’emmener dans la région a été annulée au dernier moment. En 2005, je fus chargé dans un programme de l’Université de Caen, du pôle image de «Première Université de Tchernobyl» à Kiev. J’ai proposé aux étudiants (Français/Ukrainiens/Russes/Bélarusse) de travailler sur le thème de la mémoire et de l’invisible. L’atelier « Tchernobyl Forever » a enfin pu avoir lieu.

L’Université terminée, je suis resté tout seul sur le terrain. J’ai recherché et trouvé la poupée abandonnée qu’une professeur parisienne avait vue, lors d’une mission universitaire, 10 ans plus tôt, dans les ruines de Pripyat. J’ai trouvé, complètement par hasard, dans la région de Slavgorod *, le paysage dont j’avais cauchemardé pour réaliser un Mémorial aux Villages enterrés. Et puis j’ai rencontré des gens qui m’ont raconté leurs histoires et leur quotidien, avant et après la catastrophe, et j’ai réalisé des centaines d’images d’ombres et d’abandon contraint.

De retour à Paris j’ai «monté» une série de 20 images pour le 3ème chapitre de ma trilogie «Traces». J’ai fait cadeau de la photo de «La poupée atomique» à la Criirad, pour éditer une carte postale et contribuer à recueillir des fonds pour le projet de laboratoire Criirad-Bandajewski à Minsk. En 2006, le CCCB de Barcelone, qui organisait l’exposition européenne pour les 20 ans de la catastrophe, «Il était une fois Tchernobyl …», s’est porté acquéreur de «Kolkoze Kuybicheva», mon Mémorial aux 700 villages enterrés en Ukraine, Belarus et Russie. Puis, d’expositions en conférences ou en publications, informatives et solidaires, Tchernobyl Forever à fait son chemin.

Et je me disais qu’un jour, peut-être, si j’en trouvais les mots, je ferai un carnet de ce voyage avec les centaines d’images qui sommeillaient dans ma mémoire, et dans celle de l’ordinateur. Ce n’est qu’en 2012, – 7 ans après mon séjour dans «la zone»* – alors qu’une histoire d’enfant confisqué m’enfermait dans un hiver plus froid, que je me suis mis à écrire, et à réaliser la maquette du Carnet de voyage, en écoutant Mister Tambourin Man (Bob Dylan).

En 2013, à peine terminé l’exemplaire «0», j’ai reçu une proposition de publication de la part d’un éditeur parisien. Je lui ai expliqué qu’une publication n’avait de sens que si elle pouvait générer de ressources pour les enfants de là-bas, sur le terrain, dans les territoires maudits où ils servent de cobayes. En aucun cas il ne fallait l’imaginer comme l’édition d’un «album» de photographies.

Et Tchernobyl Forever est devenu le concept d’une campagne de crowdfunding: « Un livre-dvd pour une opération humanitaire ». 414 souscripteurs en ont fait le succès et ont permis l’édition d’un ouvrage collectif autour de Tchernobyl Forever. Les auteurs qui ont participé, Jean-Pierre Dupuy / Wladimir Tchertkoff / Emanuela Andreoli / Michel Fernex / Jean Gaumy / Jacques Prévert / Patricia Jean-Drouart ont apporté avec moi leurs droits d’auteurs au profit des enfants malades des radiations, en Bélarus.

En 2014 le texte du carnet de voyage Tchernobyl forever à eu l’immense chance de rencontrer Stéphanie Loïk qui s’est proposée d’en faire une adaptation théatrale. En 2016 Tchernobyl Forever est produit par la Scène Nationale de la Martinique et le Théatre du Labrador.

En 2016, Tchernobyl Forever sortira en librairies, en français et sera disponible en plusieurs langues sur des plateformes ebook. Je remercie une nouvelle fois tous ceux qui ont rendu possible et qui accompagnent la diffusion de ce travail. Ceux d’hier, ceux d’aujourd’hui et bien sûr ceux de demain. Mes droits d’auteur continueront d’être ma modeste contribution à générer des ressources pour les damnés des zones contaminées de Tchernobyl… de Fukushima… et demain d’un ailleurs qui dans ce domaine, n’en doutez pas, n’est jamais très loin.

Les images et les mots de ce livre sont pour eux.

Alain-Gilles Bastide  .  Paris Oct.2015

Photo: AGB Paris 2001 – TRACES PARIS chapitre 1 / Hors série.