Triptique La Nuit – Photos et montage: AGB – 2006
Préambule à une image nouvelle (Paris Septembre 2001)
Comme toujours, depuis l’invention de la photographie, ce sont les spécificités de l’outil (appareil / technique / technologie) qui modifient d’abord le champ de l’image photographique, que ce soit de son rendu, de sa dynamique et de son contenu. C’est l’appareil qui introduit la relation photographié-photographiant, ou du photographe à l’objet photographié. Son ergonomie et sa mécanique déterminent des espaces et fixent des limites.
Un appareil digital n’impressionne personne, il a un aspect inoffensif et peut se glisser n’importe où. Un petit écran au dos de l’appareil déplace la visée reflex et emmène l’œil au bout du bras. Ce viseur-écran, en mouvement, suggère et inspire des images. Il se promène comme celui de la caméra-palette en vidéo. Mais ici, puisqu’il s’agit de photographie, il demande à s’arrêter pour composer dans des espaces de sujets, de formes, de matières et de lumières où l’œil photographique n’allait pas, ou ne s’arrêtait pas, auparavant. L’image photographique ne se crée plus l’œil collé à l’œilleton, dans l’intimité du caisson noir d’un système de visée. La photo se contrôle à distance et est virtuellement partageable au moment de sa création.
Le décalage ordre-action sur le déclenchement de l’obturateur oblige à anticiper le mouvement, l’expression du sujet, voir même la lumière. – La prise de vue argentique repose sur la notion d ‘arrêter l’image en appuyant sur le déclencheur, alors que la prise de vue digitale avec ce genre d’appareils, elle, repose sur l’action de l’accompagner -. L’appréciation immédiate du résultat, la possibilité de répétitions multiples, infinies et gratuites, sont autant d’éléments nouveaux qui laissent oser des images nouvelles.
La dernière spécificité principale de l’appareil digital est associée au rendu de l’image, au champ et à la définition de l’objectif, à la réaction de l’électronique aux lumières et aux couleurs. Ces appareils ont une gestion de profondeur de champ que l’on ne rencontre sur aucun autre appareil photo, et cela est bien sûr fondamental du rendu spécifique de l’image digitale.
Une image nouvelle est donc née qui bouscule la suprématie des photographes sur l’image photographique. Aujourd’hui, grâce à ces appareils et aux nouvelles technologies, les graphistes, les créateurs d’images, ont un outil qui leur permet de composer et de produire directement des photos. Et c’est cela aussi, peut-être même surtout, qui est en train de donner à la photographie non seulement un espace, mais un intérêt nouveau. La photographie digitale bouscule aussi l’idée reçue et imbécile portée par la photographie argentique depuis son invention, qui donne à la photo un caractère de vérité et d’objectivité. La photographie digitale connote à la manipulation directe, au trucage. Elle amène, et c’est tant mieux, à se méfier de la photo, attaquant ainsi le fondement de la vraie manipulation par l’image.
Alain-Gilles Bastide
Paris-Sept-2001